Le Dialogue
Le dialogue est plus complexe qu’on ne le pense souvent et mérite que l’on reconnaisse sa spécificité afin de le distinguer des autres types d’échanges interpersonnels. Le dialogue n’est ni un discours (l’énoncé d’une démonstration ou d’une opinion) ni une simple conversation (qui peut n’être qu’un simple échange d’informations). Le « dialogue », mot d’origine grecque (« dia » – ce qui traverse – et « logos » – la parole) est un mode d’échange où les acteurs se laissent en quelque sorte « traverser » par ce que chacun des protagonistes exprime. Dans la tradition philosophique, dialoguer signifie d’abord échanger et penser à deux ou à plusieurs afin d’élaborer une sorte de synthèse intégrant tous les arguments des protagonistes dans laquelle ils se retrouvent, sans qu’il soit d’ailleurs nécessaire qu’il y ait accord ou conclusion sur tous les sujets, mais de telle manière que chacun se sente reconnu dans sa singularité, ses différences et en même temps son humanité commune. Dans les champs de la résolution de conflit et de l’accompagnement de groupes, le dialogue peut être qualifié d’« interculturel », « interreligieux », « intercommunautaire », etc. On le qualifie de plus en plus d’« interconvictionnel » (1), terme auquel nous préférons celui d’interidentitaire car il inclut à la fois la dimension sociale (la manière dont les autres nous définissent) et la dimension personnelle de l’identité (la manière dont nous nous définissons), y compris les convictions qui contribuent à la former. C’est un processus de communication par lequel les participants échangent les uns avec les autres d’une manière non antagoniste, avec l’intention d’apprendre non seulement des discours mais aussi des personnes qui les tiennent, de leurs perceptions et de leurs expériences. Il tente d’éviter les deux principaux écueils de nos conversations : l’invective et l’échange destructif, ou l’évitement du conflit. Il instaure un cadre où l’on peut être à la fois authentique et respectueux des autres, dire tout ce que l’on a à dire mais en parlant pour soi et en s’abstenant de juger. En somme, le dialogue intègre pleinement la communication non violente et éthique. Le dialogue, c’est aussi et avant tout le fait d’être en contact avec des personnes qui sont différentes de nous ou qui ne pensent pas comme nous.
Malheureusement, le mot « dialogue » est devenu galvaudé, constamment dévoyé par le discours public. On parle souvent par exemple de la nécessité de « débattre » et de « dialoguer », comme s’il s’agissait de la même chose. Mais le dialogue, contrairement au débat, ne consiste pas en l’opposition d’arguments contre d’autres arguments. Un débat est en fait une très mauvaise manière de se laisser « traverser » par la parole de l’autre, car c’est une machine à radicalisation qui empêche justement notre ouverture à l’autre. Lorsque nous crions sur notre interlocuteur, il est impossible pour lui de faire fonctionner les capacités d’apprentissage de son cerveau car ce dernier sera tout entier dédié à la défense contre ce qu’il percevra fatalement comme une attaque. Le débat, parce qu’il active nos instincts défensifs en bridant notre raison, ne nous permet pas d’enrichir nos connaissances. Il ne nous permet pas d’apprendre. Il consiste, pour chaque protagoniste, à convaincre l’autre sans jamais y parvenir. Avez-vous déjà vu un débatteur apprendre quelque chose, voire changer d’avis après avoir entendu son contradicteur ? Il aurait, par définition, perdu le débat car le doute se place hors du paradigme de l’affrontement. Et c’est malheureusement ce mode d’échange qui domine en politique, c’est-à-dire la manière dont les citoyens et leurs représentants discutent du passé, du présent et du futur de notre vie en commun.
(1) Quelquejeu, Bernard, Que peut-on entendre par « vérité » au regard de la diversité des croyances et des convictions, revue Diasporiques n°32, janvier 2016, pp 20-23.
Becker, François, Exercice responsable des libertés, Collège doctoral Européen, 20 avril 2016.
Débat | Dialogue |
Atmosphère menaçante | Atmosphère sécurisante |
Attitude d’affrontement | Attitude de coopération |
Approche gagnant – perdant | Approche gagnant – gagnant |
L’objectif est de prouver que j’ai raison et que l’autre a tort | L’objectif est d’apprendre et de comprendre |
Les participants parlent sans s’écouter ou s’écoutent pour contrattaquer | Les participants s’écoutent et se répondent dans l’objectif de coopérer |
Attaques et interruptions fréquentes | Echanges respectueux en général |
Les émotions sont niées ou utilisées comme armes contre l’autre | Les émotions sont reconnues, acceptées et servent d’outils de compréhension |
Les participants posent des questions fermées pour prouver quelque chose | Les participants posent des questions ouvertes pour apprendre quelque chose |
Les participants parlent de manière générale / comme les représentants d’un groupe | Les participants parlent de leur propre point de vue / seulement pour eux-mêmes |
Les participants restent toujours sur leurs positions et défendent leurs postulats | Les participants sont près à exprimer des doutes et réexaminent leurs postulats |
Les doutes et les excuses sont proscrits | Les doutes et les excuses sont normaux |
Les participants se placent et placent les autres comme représentants de leur groupe | Les participants se considèrent les uns les autres comme des individus avant tout |
Les différences au sein d’un groupe sont niées ou minimisées | Les différences au sein d’un groupe sont normalisées |
Les interventions offrent peu de nouvelles informations | Les interventions offrent davantage d’informations |
Les solutions sont exclusives | Les solutions peuvent se combiner |
Il est donc temps de donner au dialogue la place qui lui revient en tant que méthode du vivre ensemble et en tant qu’outil de gouvernance, y compris et surtout lorsque les enjeux provoquent de vives tensions entre les différentes composantes de la société.